Douze mois sur douze, too much ? (1/2)
Depuis la création de la Coupe du monde de saut d’obstacles, à la fin des années ’70, le calendrier s’est rempli de plus en plus et l’hiver, ou tout au moins le mois de janvier, naguère consacré au repos ou à des rendez- vous folkloriques, comme le concours sur neige de St-Moritz, est devenu aussi dense qu’un autre. Là où il n’y avait que 30 CSI(O) 5* encore dans les années ‘90, il y en a plus du double aujourd’hui (77 en 2019, près de 100 annoncés aujourd’hui). Le sport de très haut niveau s’est incroyablement développé et pour figurer dans le Top 10 ou même dans le Top 30 mondial, il faut avoir plusieurs cracks et une dizaine de têtes à l’écurie. Cette hyper-professionnalisation permet certes aux chevaux d’avoir des semaines de (semi) repos, souvent deux semaines sur trois (si on n’est pas étalon !), mais les cavaliers n’ont guère le temps de respirer, les deux ou trois journées par semaine chez soi servant à seller les autres montures et à préparer la relève, tout en s’occupant de la paperasse. Est-il possible d’avoir une existence normale, une vie de famille et un bon équilibre en vivant à ce rythme-là, avec des valises à faire et défaire presque chaque semaine, ainsi qu'une grosse pression sportive et financière ? Garde-t-on suffisamment d’influx et d’envie pour les concours suivants et les grosses échéances ? Où puise-t-on la force et l’équilibre nécessaires ? Le physique, le mental et le moral tiennent-ils ? Est-on tenté de sacrifier certains objectifs, de renoncer à certains 5*, comme ces chefs qui abandonnent les courses folles qu’im- pliquent le GaultMillau ou le Michelin ? Nous l’avons demandé à quatre champions et (ou) coaches.
Laura Kraut
(USA), 59 ans, médaillée d’or par équipe aux JO de 2008, d’argent par équipe aux JO de 2021 et de 2024, championne du monde par équipe en 2018, médaillée d’argent par équipe en 2006. Coach de plusieurs jeunes avec son compagnon, l’olympique Nick Skelton.
« Il est impossible pour moi de concourir douze mois de suite, je fais des breaks d’une à deux semaines, si possible chaque saison. Et mes chevaux me poussent aussi parfois à interrompre une série de concours. Tant mentalement que physiquement, surtout à mon âge, ça devient très exigeant. Il faut être frais, motivé et en forme, comme nos chevaux, pour pouvoir performer, il faut avoir faim ! Parfois on voyage trop, on ne sait même plus où l’on est, où l’on se réveille, il faut dire stop ! Les voyages, c’est dur et long, aux États-Unis comme en Europe. Et depuis le Covid, il y a moins de vols directs, de bonnes connections. En hiver, on est à Wellington et même
depuis Miami il y a moins d’avions pour Amsterdam. L’été, mes chevaux sont en effet à Kronenberg (HOL) et moi aussi, sauf quand on peut s’échapper à Sainte-Maxime ! J’essaie de faire une pause en janvier, puis en mai et (ou) en juillet, en septembre, parfois même quinze jours quand c’est possible. J’ai sept ou huit chevaux en ce moment. J’ai arrêté le Global Champions Tour, qui fait beaucoup voyager, sur plusieurs continents. Je participe depuis l’an passé au circuit américain, qui s’appelle aussi Global, mais n’a rien à voir. Il a lieu de fin octobre à décembre en Californie et ça me permet de voir mon fils, qui a 26 ans, et mes deux petits-fils, qui habitent là-bas. Si la famille peut vous aider à être un peu plus raisonnable, c’est bien, non ? Je pense que c’est à nous de gérer ça, on ne peut pas interdire tout concours pendant un mois, il y a assez de cavaliers pour ça, à nous de faire le tri ! C’est difficile, car on veut être dans le Top 30 ou 40, pour être invité dans les plus beaux concours, mais on doit être raisonnable. »
Martin Fuchs
(SUI), 32 ans, vainqueur de la Coupe du monde 2022, 2e en 2019, champion d’Europe individuel en 2019 et par équipe en 2021, vice-champion d’Europe en 2021, vice-champion du monde en 2018, vainqueur de la Finale du Top 10 2024.
« C’est dur de faire de la compétition douze mois par an, c’est long, on n’a pas de break, on n’a pas de saison, pas de débutnet pas de fin. J’aimerais bien avoir un mois « sans », mais c’est compliqué, il y a tout le temps des gros concours 5*. J’essaie de faire une coupure à Noël, j’ai arrêté de Londres à Bâle, ça faisait presque trois semaines. Mais je suis resté à la maison pour monter mes chevaux, j’ai beaucoup travaillé sur le plat, ce n’était pas un break. Je ne suis même pas allé skier, ça fait deux ou trois ans que je n’ai plus mis les skis. Cette année, j’ai décidé de faire quelques internationaux en moins et à la place des nationaux, sur un ou deux jours, où je peux prendre 4, 5, 6 ou 7 chevaux, ça permet aussi plus de moments à la maison. J’ai sauté à Amriswil et à Uster, et j’en ferai d’autres cet été. Je veux aussi prendre de temps en temps congé le lundi après-midi ou le mardi, pour faire autre chose. »
Alban Poudret
Cet article a été publié en p. 12-13 du Cavalier Romand de juin. Toute reproduction des textes et photos, même partielle, est interdite sans l’autorisation de l’éditeur.