Marcus Ehning et Stargold ont triomphé dans le Grand Prix d'Aix-la-Chapelle. ©Rolex/Ashley Neuhof Marcus Ehning lors de sa victoire dans le GP d'Aix-la-Chapelle avec Stargold. ©Rolex/Ashley Neuhof

Douze mois sur douze, too much ? (2/2)

Depuis la création de la Coupe du monde de saut d’obstacles, à la fin des années ’70, le calendrier s’est rempli de plus en plus et l’hiver, ou tout au moins le mois de janvier, naguère consacré au repos ou à des rendez- vous folkloriques, comme le concours sur neige de St-Moritz, est devenu aussi dense qu’un autre. Là où il n’y avait que 30 CSI(O) 5* encore dans les années ‘90, il y en a plus du double aujourd’hui (77 en 2019, près de 100 annoncés aujourd’hui). Le sport de très haut niveau s’est incroyablement développé et pour figurer dans le Top 10 ou même dans le Top 30 mondial, il faut avoir plusieurs cracks et une dizaine de têtes à l’écurie. Cette hyper-professionnalisation permet certes aux chevaux d’avoir des semaines de (semi) repos, souvent deux semaines sur trois (si on n’est pas étalon !), mais les cavaliers n’ont guère le temps de respirer, les deux ou trois journées par semaine chez soi servant à seller les autres montures et à préparer la relève, tout en s’occupant de la paperasse. Est-il possible d’avoir une existence normale, une vie de famille et un bon équilibre en vivant à ce rythme-là, avec des valises à faire et défaire presque chaque semaine, ainsi qu'une grosse pression sportive et financière ? Garde-t-on suffisamment d’influx et d’envie pour les concours suivants et les grosses échéances ? Où puise-t-on la force et l’équilibre nécessaires ? Le physique, le mental et le moral tiennent-ils ? Est-on tenté de sacrifier certains objectifs, de renoncer à certains 5*, comme ces chefs qui abandonnent les courses folles qu’im- pliquent le GaultMillau ou le Michelin ? Nous l’avons demandé à quatre champions et (ou) coaches.

Philippe Guerdat

(SUI), 73 ans, médaillé européen d’argent et de bronze par équipe, entraîneur-sélectionneur de la France (championne olympique en 2016), du Brésil (double champion aux Jeux panaméricains 2019), de la Belgique (double médaillée aux Mondiaux 2010), de l’Ukraine, de l’Espagne, etc.

« Physiquement comme mentalement, il est très difficile pour les cavaliers d’être efficaces et motivés douze mois sur douze, c’est beaucoup leur demander. Mais c’est à eux de décider s’ils peuvent tenir ce rythme ou non. Il y a une quinzaine d’années, j’avais proposé qu’il y ait un mois sans concours, pour tous, que ce soit uniforme. Mais aujourd’hui, il est quasiment impossible de revenir en arrière, il y a des 5* tout le temps et partout, des habitudes ont été prises et il serait trop compliqué d’enlever à des organisateurs leurs dates traditionnelles. Ça devrait être au début de l’année et, en janvier, il y a désormais Bâle, Leipzig et Amsterdam, comment faire ? Ceci dit, dans l’absolu, il serait indiqué, voire nécessaire, de prévoir un mois sans concours. On n’a jamais le temps de se ressourcer, on dit « on va encore faire celui-ci, et puis celui-là », c’est sans fin ! À l’époque, j’étais heureux de débrancher, d’aller au concours sur neige de St-Moritz ou de faire autre chose. Les cavaliers en lice chaque semaine n’arrivent de toute manière plus à avoir la même envie et le même équilibre, je l’ai bien observé comme chef d’équipe. Ils ont tous des hauts et des bas, des périodes difficiles, du n°1 mondial au n°300. Si on n’est pas à 120 %, on ne gagne rien ! Même comme sélection- neur, on ne peut pas leur demander d’arrêter, ils ont leurs propriétaires, leurs obligations. Or il serait salvateur pour eux de faire un vrai break, pour leur team et leurs grooms aussi. On n’en prend hélas pas du tout le chemin. La FEI a mis des Coupes des Nations de sa nouvelle Ligue l’hiver, en pleine Coupe du monde, alors que le sponsor principal de la FEI, Longines, parraine ces deux circuits et en même temps un 5* à Hongkong ou encore le Global, il n’y a aucune logique. Il faudrait redonner du sens au calendrier. »

Marcus Ehning

(ALL), 51 ans, triple vainqueur de la Coupe du monde, triple vainqueur du Grand Prix d’Aix-la-Chapelle, champion olympique, du monde et d’Europe par équipe.

« C’est vrai qu’il y a désormais des grands concours toutes les semaines, mais personnellement je renonce à monter en concours dix à quinze week-ends par an. Et si je saute à Riesenbeck, je peux être à la maison le soir, ce n’est pas comme si je partais cinq jours à l’étranger. Je garde ces week- ends sans compétition, même nationale, car j’essaie de prendre du temps pour ma famille. Je suis d’une autre génération que les jeunes et je ne pourrais pas faire des concours chaque semaine. J’apprécie aussi de partir en vacances, car nous avons quatre enfants. L’an passé, nous sommes ainsi allés une dizaine de jours tous ensemble à Paris. Nous allons parfois sur une petite île sans voiture, en Allemagne. Je ne pourrais pas monter en concours 51 semaines sur 51, il me faut des périodes calmes. Je fonction- nerais peut-être différemment si je n’avais pas une grande famille. On ne peut pas limiter le nombre de concours ou arrêter tout quelques semaines, les organisateurs sont libres et tous les grands concours sont pleins. Chacun fait ses choix. Certains vont dix semaines à Doha ou à Al Ain, je trouverais ça lassant, une ou deux semaines au soleil volontiers, mais pas deux mois au même endroit ! Mes choix me coûtent des rangs au classement mondial, mais c’est ainsi. J’apprécie le circuit Coupe du monde et les grands concours, je fais un programme général et gère en fonction des chevaux et des invitations. Je comprends que l’on ne m’invite pas partout. »

Alban Poudret

Cet article a été publié en p. 12-13 du Cavalier Romand de juin. Toute reproduction des textes et photos, même partielle, est interdite sans l’autorisation de l’éditeur.


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