Julien Épaillard : « Si je n’avais pas de chevaux de 5*, je sortirais en 2*! » (1/4)
La Suisse a souri à Julien Épaillard, vainqueur de la finale Coupe du monde de saut d’obstacles le 6 avril dernier à Bâle avec le crack Donatello d’Auge, élevé par son épouse Susana. Cavalier surdoué, le Français est surtout un libre penseur qui aime mener ses expériences – déferrer ses meilleurs chevaux et les mettre au pré en troupeau par exemple. Un horsemanship inspirant à découvrir dans la première partie de ce reportage au Haras de la Bosquetterie.
Les marronniers sont en fleurs au Haras de la Bosquetterie, près de Lisieux en Normandie. Lorsque le lourd portail de la propriété s’ouvre très lentement, c’est eux que l’on voit en premier. Des dizaines et des dizaines de ces nobles sentinelles bordent les larges allées du domaine et le balancement de leurs branches parées de blanc a quelque chose d’hypnotique. Pas de doute, nous nous aventurons dans un endroit extraordinaire : le paradis sur terre de Julien Épaillard. Ces allées en pente douce mènent aux écuries, cœur du haras de nonante hectares. Elles sont construites en U et flanquées de deux statues de chevaux grandeur nature. En ce mardi matin, les lieux sont particulièrement calmes, les deux cavaliers maison étant partis en concours jeunes chevaux avec toute leur troupe. On n’entend pas d’autre bruit que le chant des oiseaux. Mais où est donc Julien Épaillard ?
La grande porte des écuries est ouverte et la curiosité nous pousse à y entrer. Surprise, l’intérieur ressemble à un musée ! Sur les murs, de grandes photos des chevaux et victoires qui ont émaillé le parcours du champion français. Il y a aussi des centaines de trophées, flots, bronzes glanés sur les terrains de concours du monde entier. Les coupes sont rutilantes, astiquées régulièrement : la poussière semble proscrite dans les écuries du dernier vainqueur de la finale Coupe du monde. Nos pas nous mènent vers une pièce où selles et brides s’alignent, impeccablement rangées. De là on aperçoit une immense carrière de sable blanc en contrebas des écuries, nichée dans un écrin de verdure. Julien Épaillard s’y tient seul, terminant une séance de travail avec un 9 ans « fait maison », Guarana d’Auge. Le bai-brun solide reprend tout juste le travail après un pépin de santé et garde des rondeurs de vacancier. La séance s’achève par quelques sauts de cavalettis. Le cheval semble très décontracté, son cavalier également, on ne saurait dire lequel des deux déteint sur l’autre.
Jardin secret
Le Haras de la Bosquetterie, dans le Calvados, est le port d’attache du Français. Pour y entrer, il faut montrer patte blanche et sonner à l’interphone. La maison juste en face de celle de Julien est habitée par son fils aîné et cavalier maison Brieuc, vingt-sept ans. Une troisième demeure toute proche est destinée à Luis, le cadet qui n’a que dix-sept ans. Plus qu’une écurie, c’est donc un cocon familial : « Ici je suis sûr de ne croiser que des gens que j’aime, je peux être avec mes chevaux tranquillement et les regarder ».
Regarder ses chevaux, c’est une expression que Julien Épaillard utilise souvent. Il ne choisit pas les termes « observer », ni « surveiller », mais bien « regarder ». Ce mot dit le temps long, le calme dans la relation, bref la vie commune. « En concours je suis très sollicité, j’ai beaucoup de pression. Ici je suis tranquille, mais en même temps mon travail n’aurait pas de sens sans la compétition que j’aime quel que soit le niveau d’épreuve. Si je n’avais pas de chevaux de 5* je sortirais en 2*! »
La propriété sur laquelle est construit le Haras de la Bosquetterie a été acquise par Susana Garcia Cerecena, épouse de Julien Épaillard, un peu avant leur rencontre, au début des années 2000. Cette femme d’affaire espagnole et cavalière a commencé par tomber amoureuse d’un cheval normand, Hello Pierreville, puis de la région où elle a toujours eu des poulinières, avant d’épouser le natif de Cherbourg. Le couple s’est rencontré lors d’un dîner aux ventes Fences à Fontainebleau. « Nous étions à la même table et j’espérais la croiser à nouveau rapidement, mais à l’époque il n’y avait pas de portables, c’était plus compliqué ! Nous ne nous sommes revus qu’une année plus tard à Auvers. » En vingt ans d’une union qui a comme points cardinaux la Normandie et Madrid, où Susana travaille et où Luis est scolarisé, le haras, l’élevage et la carrière de Julien Épaillard ont pu s’épanouir. Un système – ou plutôt un écosystème – a été créé autour de lui et lui permet de performer.
Céline Gualde
Cet article a été publié en p. 4-11 du Cavalier Romand de juin. Toute reproduction des textes et photos, même partielle, est interdite sans l’autorisation de l’éditeur.