Rênes allemandes : débat et réactions
Comme précisé dans le Cavalier Romand du mois de décembre, que vous recevez ces jours-ci dans vos boîtes aux lettres, nous publions ici les lettres ouvertes sur le sujet des rênes allemandes. En effet, le cavalier genevois Pierre Brunschwig a réagi suite au communiqué de la Fédération suisse des sports équestres interdisant l’utilisation des rênes allemandes lors des manifestations hippiques dès janvier 2016. Nous vous laissons découvrir sa lettre ainsi que la réponse du président de la FSSE, Charles Trolliet.
Lettre ouverte au Directoire Saut et à la Commission des Règlements sur l’interdiction des rênes allemandes sur les terrains de concours de saut d’obstacles en Suisse
Mesdames, Messieurs,
Je me permets ce commentaire sur votre récente décision - et ratification – de l’interdiction des rênes allemandes dans les concours nationaux, car tant sur le pan technique que sur celui de la politique générale et de la défense de notre sport, elle semble être une complète aberration.
J’irai directement à l’essentiel et vous donnerai d’emblée quatre raisons, pour le moins évidentes, qui rendent cette décision assez ridicule :
• Si en 2016 on interdit les rênes allemandes, parce qu’elles sont considérées comme un instrument de contrainte, en 2017 vous interdirez les éperons, puis la cravache, enfin les mors, la selle et la sangle, finalement le cavalier…
• Le règlement de la FEI ne prohibe pas « cette aide », or l’année prochaine se dérouleront en Suisse près d’une quinzaine de concours internationaux, attirant souvent les meilleurs cavaliers du monde, dont beaucoup utilisent cet enrênement, ces concours sont bien évidemment les plus suivis par le public et les médias…donc tout le monde verra des cavaliers travailler avec des rênes allemandes.
• Ce n’est pas en faisant des concessions aux « ayatollahs » de la réglementation (les fonctionnaires fédéraux et les autres…) que l’on défendra intelligemment notre sport.
• Les commentaires sportifs de journalistes non spécialisés et peu inspirés qui, commentant les Jeux olympiques sur les chaînes nationales, parlent de « chevaux exténués qui se fracassent dans les obstacles… » ou de « cavaliers sans expérience qui se confrontent à de tels parcours » sont plus dommageables pour le saut d’obstacles que les rênes allemandes et là personne n’intervient…
Vous aurez compris que mon propos n’est pas de défendre à tout prix cet enrênement, décrié par certains, loué par d’autres, mais bien de protéger notre sport en tant que tel. Cela ne sert à rien de multiplier les interdictions. Il faut défendre l’art équestre dans le respect de sa culture, du cheval et même du (bon !) cavalier.
Les responsables du sport équestre, que vous êtes, doivent former, encadrer, expliquer communiquer et non tout interdire, par souci de simplification.
Nous devons avoir des fonctionnaires et des juges qui comprennent très bien le sport et peuvent l’expliquer, qui savent aussi prendre leurs responsabilités et sévir lorsque cela est nécessaire. On doit peut-être interdire certains outils (mors, enrênements) pour les cavaliers sans expérience ou s’ils sont mal utilisés, mais si on se met à tout réglementer de la sorte, le sport deviendra impraticable et surtout vous allez le tuer.
Dans le même registre le « Rollkür» prohibée (par la loi et les règlements) est également un principe difficile à appliquer, car une majorité de grands champions la pratiquent, ou tout au moins demandent des flexions bien appuyées. Interdire celles-ci pratiquées dans la décontraction et l’harmonie par des cavaliers expérimentés, qui sont soucieux de la morphologie de leur cheval, n’a rien à voir avec de la contrainte brutale; c’est comme si les athlètes renonçaient aux étirements avant de s’élancer sur un stade. Et surtout si on veut vraiment l’appliquer il faudra que les stewards et les juges mettent à pied MM. Ehning ou Lansink lors des prochains CHI/CSI de Genève, Zurich et Bâle.
Alors Mesdames et Messieurs les responsables ne prenez pas de décisions trop hâtives, et surtout contre-productives, qui ne contribueront pas à défendre notre sport, bien au contraire.
Avec mes respectueuses et sportives salutations, Pierre Brunschwig
Réponse de Charles Trolliet, président de la Fédération suisse des Sports Equestres
Monsieur,
Votre « lettre ouverte » relative aux rênes allemandes m'a été transmise. Après consultation avec la présidente de la Commission des règlements et avec le Directoire Saut, j'y réponds bien volontiers.
Je vous rejoins pleinement lorsque vous insistez sur l'importance de la formation, de l'encadrement, de l'explication et de la communication. Ces points sont et restent le fondement de l'action de la FSSE vis-à-vis de ses associations-membres et vis-à-vis des sportifs, de quelque discipline et de quelque catégorie qu'elles ou ils soient.
De même, je souscris à votre désir d'avoir des officiels sachant prendre leurs responsabilités et, si nécessaire, sévir. Malheureusement cela est plus facile à dire qu'à concrétiser : tous nos fonctionnaires sont des bénévoles, qui offrent des jours et des jours de leur temps libre pour assurer le bon déroulement des épreuves équestres et, même si je ne l'approuve bien entendu pas, je peux comprendre, surtout vu le comportement de certains cavaliers à leur égard, qu'ils renoncent parfois à intervenir ou qu'ils détournent la tête ... Dans ce sens, la FSSE a instauré, depuis cette année, une formation en gestion des conflits pour tous les juges et nous espérons qu'elle pourra contribuer à renforcer leur attitude face à des manquements sur les places de concours. Au passage, je me permets de suggérer aux cavaliers de manifester leur appui et leur satisfaction lorsqu'un officiel prend une mesure justifiée. L'éducation passe aussi par-là !
Pour en venir à la question précise des rênes allemandes, je rappellerai tout d'abord que son usage est déjà interdit sur les places de concours « dès que l'on saute des obstacles » (RS
7.9.3). La nouvelle mesure ne fait donc que d'élargir cette interdiction au travail sur le plat et à la remise des prix.
Mes capacités équestres ne me permettent pas de poser un jugement sans appel sur les rênes allemandes, toutefois on m'a toujours appris que le but suprême devait être d'amener le cheval à prendre contact avec son embouchure et à « courir après elle ». Les rênes allemandes ne me semblent pas aller dans ce sens et c'est avec plaisir que j'ai lu, dans le compte-rendu du dernier Global Dressage Forum qui s'est tenu il y a une quinzaine de jour, la prise de position de George Morris, qui est mille fois plus qualifié que moi en terme d'équitation : « George Morris answered the question that nowadays dressage still is the mother of all equestrian disciplines. "lt's more than ever!", he said, worrying about the young generation almost sleeping on their draw reins and missing the abilities to practice proper fiat work. "White there are only two things that count, forward and backward", he said. ».
Par contre, mes connaissances en tant que vétérinaire me font clairement douter d'un quelconque effet positif des rênes allemandes (et des autres méthodes visant à mettre le cheval dans la célèbre attitude Low, Deep and Round) sur l'anatomie, la santé et la locomotion du cheval. Le dos ne monte que lorsque la musculature abdominale se contracte, pas lorsque celle de l'encolure s'enroule !
Ce qui est par contre certain, c'est que le fait d'obliger un cheval par la force à adopter une telle attitude et à la maintenir sans pouvoir s'en libérer est contraire au bien-être animal et à la législation suisse sur la protection des animaux. Je ne dis pas que les rênes allemandes sont toujours utilisées dans ce but, mais elles peuvent facilement l'être et le sont fréquemment, particulièrement sur certaines places d'échauffement.
S'il est possible que, dans certaines situations (par exemple à l'entrainement) et utilisées par certains cavaliers, les rênes allemandes puissent avoir une utilité (par exemple pour empêcher un cheval de « partir en l'air » ), leur usage et même leur simple présence sur un terrain de concours est susceptible de donner une image de coercition que beaucoup de personnes ne souhaitent plus voir associée aux sports équestres en général.
Enfin, il est logique que seuls les harnachements autorisés lors du parcours soient également autorisés durant la phase de préparation et pendant le reste de la compétition.
Ce sont ces réflexions qui ont amené le Directoire Saut à proposer la mesure que vous savez, proposition qui a été soutenue par le groupe de travail « Règlements » de la discipline, dans lequel siègent les responsables saut de toutes les associations régionales et finalement suivie par la Commission des règlements, qui comprend elle aussi des représentants de diverses organisations dont plusieurs sont ou ont été des cavaliers de compétition. Conformément au Règlement d'organisation, c'est cette commission qui a la compétence décisionnelle en matière de règlements techniques. Il est d'autre part intéressant de relever que cette (petite) modification réglementaire a fait parler d'elle au-delà de nos frontières et que l'Allemagne a décidé d'entamer une réflexion sur le sujet.
Dans cette perspective, et pour en revenir au contenu de votre lettre, je conçois volontiers que les interdictions ne sont pas toujours la meilleure solution. Mais, comme je l'ai déclaré à une journaliste, cette interdiction n'est pas un but en soi mais un moyen pour amener les cavaliers à s'interroger sur certaines pratiques ou certains « moyens auxiliaires ». Si une grande nation équestre comme l'Allemagne le fait et si le débat est lancé en Suisse également, alors cette mesure aura atteint son objectif.
Quant à moi, mon souhait serait bien entendu de pouvoir nous passer de toute interdiction ou de toute obligation, faisant confiance aux cavaliers (et aux meneurs, voltigeurs, etc.) pour qu'ils se comportent toujours de façon correcte face à leurs compagnons de sport, les chevaux, et pour qu'ils aient en permanence l'image du sport équestre en toile de fond. Mais les années m'ont appris qu'il ne faut pas se faire d'illusions en la matière et que, même si je reste persuadé que la majorité des sportifs équestres sont soucieux du bien-être des chevaux, des garde-fous sont nécessaires pour assurer, sur le long terme, la pérennité des sports équestres.
En espérant avoir pu, sinon vous convaincre de cette mesure, du moins vous en faire comprendre les tenants et aboutissants et en restant volontiers à votre disposition pour en discuter à l'occasion, je vous adresse, Monsieur, mes salutations les meilleures.
Avec nos meilleures salutations, Charles Trolliet
Réponse de Pierre Brunschwig
Monsieur le Président,
Je vous remercie de votre prompte et très circonstanciée réponse. Même si vous développez largement le sujet, je constate que vous évitez soigneusement les vrais problèmes que ma lettre évoquait, à savoir :
Le décalage entre le règlement de la Fédération Suisse et la FEI qui, tant pour le profane que pour le connaisseur, rend cette décision incohérente donc incompréhensible (en Suisse on devient les champions du Monde de la réglementation, la FNCH suit cette tendance !)
Le mystère entretenu autour des personnes et des organes qui prennent ce type de décisions et la volonté de conserver cette « chasse gardée » des officiels en Suisse dans les changements de règlement appliqués aussi soudainement qu’abruptement
Le manque de consultation et/ou de concertation des cavaliers actifs et particulièrement de ceux de l’Elite (membres du cadre), la quasi-totalité de ceux qui ont reçu ma lettre m’ont spontanément fait part de leur totale adhésion à l’esprit du courrier
L’engrenage « vicieux » dans lequel ce type de décision va vous/nous entraîner.
Toutes les « aides » (embouchures, éperons, cravache, enrênements) sont par définition même, de nature contraignantes, coercitives, voire brutales si elles sont mal utilisées. Encore une fois je ne porte pas simplement ma réflexion sur la défense des rênes allemandes en tant que telles, et vous l’avez parfaitement bien saisi, car comme vous le dites très judicieusement, il est difficile d’avoir un avis définitif sur cette question si on intègre les paramètres techniques, vétérinaires (morphologie du cheval), de même que si l’on se réfère à une école particulière ou à un « maître de l’art ».
Je souhaite simplement ouvrir un débat (démocratique !) sur la façon dont sont prises des décisions importantes pour l’avenir de notre Sport, sur le manque de transparence de celles-ci, sur le fait que les « leaders » de l’équitation suisse – ceux qui font la renommée et le succès du sport hippique - ne sont pas consultés , encore moins partie prenantes au développement tant stratégique que réglementaire du cadre sportif dans lequel ils évoluent, et qui devraient être les porte-paroles des quelques milliers de licenciés helvétiques.
Mais c’est un débat que les organes dirigeants ne veulent vraisemblablement pas ouvrir.
Pour utiliser un langage sportif, vous dégagez en touche aujourd’hui, un jour peut-être la FNCH sera obligée de participer à un tel débat dans un environnement plus tendu.
Avec mes respectueuses et sportives salutations, Pierre Brunschwig