Pour Steve Guerdat et Martin Fuchs, Thomas Fuchs méritait aussi les deux médailles décrochées par les as helvétiques, les deux premières de l'histoire, aux Jeux mondiaux de Tryon 2018. © Alban Poudre Pour Steve Guerdat et Martin Fuchs, Thomas Fuchs méritait aussi les deux médailles décrochées par les as helvétiques, les deux premières de l'histoire, aux Jeux mondiaux de Tryon 2018. © Alban Poudret

Thomas Fuchs, entre souvenirs et confidences

Après plus d’une décade de bons services et de médailles – dix-sept ans, si l’on compte ses piges occasionnelles –, Thomas Fuchs (68 ans) a remis sa démission à Swiss Equestrian, qui se passera à l’avenir d’un coach pour l’élite de saut, confiée au seul Peter van der Waaij, chef d’équipe. L’occasion de plonger avec Thomas Fuchs dans les souvenirs et de poser des questions à celui qui fut lui-même d’abord un as de ce sport.

Thomas, on parle de la fin d’un mandat de douze ans comme coach de l’équipe première, mais en fait cela fait bien plus longtemps que vous entraîniez certains dans les grands championnats ?
Oui, j’étais là occasionnellement, comme aux championnats d’Europe de Windsor 2009 (or par équipe, ndlr), pour Steve (Guerdat) et un peu pour Pius (Schwizer), tandis que Daniel Etter était coaché par Hervé Godignon et Clarissa (Crotta) par Willi Melliger. L’année suivante, j’avais effec- tivement eu un mandat de la Fédération pour m’occuper de l’équipe aux Jeux mondiaux de Lexington, sans trop de succès (rires), et j’étais aussi aux JO de Londres en 2012 pour aider l’équipe et ce qui reste un de mes plus beaux souvenirs, la victoire de Steve. L’année suivante, il y avait eu les Européens de Herning, mais je n’allais pas à chaque CSIO, même si j’accompa- gnais mon fils Martin et Steve. C’est depuis 2014 que je suis devenu employé de la Fédération.

C’est Andy Kistler, nommé chef d’équipe en avril 2014, qui vous avait prié d’accepter d’être coach lors de toutes les sorties de l’équipe première ?
Il voulait que je sois présent chaque fois et coresponsable pour les Coupes des Nations, les championnats et les finales de Coupe du monde. J’étais proche de mon fils et de Steve et les autres n’avaient pas forcément leur propre coach, c’était donc utile à ce moment-là. Aujourd’hui, ça a changé, Steve et Martin n’ont plus trop besoin de moi, Janika (Sprunger) a son mari, Géraldine (Straumann) ses entraîneurs danois, beaucoup ont un coach attitré, c’est différent.

Durant ces douze années-là, il y a eu beaucoup de grands moments, quatre victoires en Coupe du monde, des médailles individuelles et par équipe, mais aussi de grandes désillusions, c’est le sport ?
Ça tient souvent à peu de choses, à des détails. Parfois, on pensait avoir une équipe top et on n’a pas réussi, d’autres fois on a fait beaucoup mieux que prévu, comme aux Européens de Riesenbeck 2021, où je n’aurais pas pensé qu’avec Martin et Steve sur leur second cheval et deux nouveaux, Bryan et Elian, on arriverait à gagner. C’est un de mes meilleurs souvenirs, une vraie victoire d’équipe. Et le sport bouge, avant les Suédois gagnaient tout, aujourd’hui ce sont les Britanniques. Pour ça, il faut plusieurs leaders et des très bons chevaux !

Et ces montagnes russes en 2018 à Tryon ?
Effectivement, on était en tête (avec deux barres d’avance au dernier tour, ndlr), mais pas si solides que ça. On avait pris Werner Muff, qui n’était déjà pas très bon avant de partir, et Janika, qui a fait ces refus avec son étalon et n’est pas très solide en championnat, déjà en 2013 à Herning et on l’a encore vu cet été à La Corogne, où elle a craqué le dernier jour.

Depuis les Mondiaux 2022 de Herning, on a raté nos championnats, par équipe en tout cas. Steve a eu l’or à Milan et l’argent aux JO de Paris, mais par équipe, ça ne passe plus, pourquoi ?
On a gagné beaucoup de Coupes des Nations, mais le jour J, on n’était pas là. On peut toujours trouver des excuses. À Herning, Edouard (Schmitz) n’avait pas encore trop d’expérience, les autres ont fait des fautes, à Milan on luttait encore pour une médaille quand Martin a fait cette touchette sur le dernier. À Paris, le cheval de Pius n’était pas en forme, on n’a pas eu de chance non plus. On n’avait pas beaucoup de choix pour former l’équipe, pour La Corogne non plus.

Cette année, comme Steve et Martin, vous avez décidé de boycotter les quatre étapes de la Super Ligue des Nations ?
Je ne pouvais pas accepter que St-Gall soit mis de côté et remplacé en quelques semaines par un concours comme Gassin, où il n’y avait eu que des 2* ou 3* et deux ou trois cents spectateurs ! Et à Abou Dabi aussi, il y a trois cents spectateurs, c’est incroyable ! J’avais le sentiment que la FEI voulait casser son circuit ! Je comprends que notre Fédération participe à ce circuit parrainé par Longines, son propre sponsor, mais je ne comprends pas les choix de la FEI.

Sans coach, on a vu que ça a été compliqué pour les Helvètes, avec l’élimination de notre équipe à Ocala, notamment.
Je ne pense pas que j’aurais pu changer grand chose là-bas ! La combinaison était un peu longue, mais je ne sais pas si j’aurais évité deux éliminations. Et dans les autres CSIO 5*, Steve et Martin peuvent aider les jeunes et gagner sans moi. Vous savez, je commençais à en avoir un peu marre, c’était répétitif et beaucoup de cavaliers ont leur coach. Mais je ne dis pas que je ne les aiderais pas si je suis sur place. J’ai encore eu du plaisir avec l’équipe à Avenches. En revanche, je ne veux plus être obligé d’aller ici ou là. Et Peter van der Waaij peut tout à fait les aider techniquement. Andy Kistler et Michel Sorg avaient des qualités organisationnelles, ils ont fait en sorte aussi que les propriétaires soient très bien considérés, mieux que dans beaucoup de fédérations, mais eux ne s’occupaient pas des chevaux à l’échauffement. Peter, lui, peut leur dire « Plutôt cinq foulées que six ! »

Comme Philippe Guerdat, vous minimisez souvent votre rôle de coach, en disant que les meilleurs savent ce qu’ils doivent faire et qu’hormis un encouragement ou un petit conseil au barrage, vous les laissez faire. Vraiment ?
On peut calmer un peu un cavalier, bien doser la préparation au paddock, donner un conseil, mais je pense qu’actuellement les cavaliers suisses sont bien entourés, ils n’ont pas besoin d’un coach à chaque Coupe des Nations.

Vous continuerez toutefois à aller en concours pour vos clients, et parfois à l’étranger pour Martin et l’équipe ?
J’ai beaucoup de clients importants qui me demandent de les accompagner en concours, des chevaux en travail à la maison, à Wängi, je ne vais donc pas arrêter pour l’instant.

Vous montez encore chaque jour ?
Oui, un ou deux chevaux, maximum, par jour. Je ne saute presque pas.

Et les chevaux de Martin, vous les montez moins à l’entraînement ?
Je les monte plutôt en balade, je vais souvent me promener avec Leone Jei.

Cette saison, Martin a eu moins de réussite, comment l’expliquez-vous ?
Ça tient à peu de choses, la chance, la confiance... Il a gagné à Aix et il aurait peut-être pu récidiver à Calgary, mais une foulée un peu moins précise, le cheval qui part trop tôt et c’est la chute. Conner Jei était aussi un peu moins bien et les chevaux moins en forme.

On vous a vu driver à Avenches lors de la finale EEF, c’était un come back, quand aviez-vous arrêté les courses de trot ? 
Quand Martin avait commencé à faire de gros concours, en 2008 ou un peu avant. Ces dernières années, j’avais été une fois à Avenches driver avec Henri Turrettini et c’est lui qui m’a convaincu de faire cette course. Ça m’a fait plai- sir, mais j’étais énervé de ne pas avoir bien fait !

Avec votre épouse Renata, vous avez fait beaucoup de choses ensemble, du saut jusqu’aux championnats de Suisse (victoire de Renata en 1990) et les CSI, des courses de trot, l’accompagnement de Martin, avec les mécènes et sponsors ?
Oui, c’est formidable ! Et fin septembre à Vienne, Renata accompagnait Martin et coachait elle- même deux élèves, moi je n’étais même pas là !

Votre plus beau souvenir comme cavalier ?
Les trois titres européens par équipe et... la victoire de Renata au championnat de Suisse, oui vraiment, c’était incroyable et encore plus beau que mes victoires en Grand Prix.

Et votre plus grosse déception ? De ne pas avoir décroché de médaille aux JO ? 
Peut-être, oui. Mais à Séoul, j’avais une jument de 8 ans (Dollar girl), à Barcelone un cheval pas suffisamment bon (Dylano), surtout avec cet horrible triple (Milton et d’autres s’y étaient écrasés, ndlr). J’ai été 2e à Aix-la-Chapelle ou à Calgary, j’aurais mieux aimé gagner, mais 2e, c’est pas mal ! J’ai remporté des beaux Grands Prix, mais j’étais surtout régulier pour l’équipe. Aux Européens, je crois que j’ai eu six médailles collectives sur six tentatives.

Vous êtiez un styliste et votre frère un gagneur. Or c’est lui qui a été no 1 mondial, pourquoi ?
Je n’étais pas assez bon ! Et j’avais un peu moins envie, j’aimais bien vendre un cheval, même entre les deux tours d’un Grand Prix. J’avais manqué la reco du Grand Prix de Dublin pour aller voir un cheval ! J’étais moins concerné par la compétition, mais un bon élément pour l’équipe.

Avec Melliger, Gabathuler, Heidi Hauri, Philippe Guerdat et les deux Fuchs, il y avait une génération extraordinaire dans les années ’80 et ’90. A-t-on la même chose aujourd’hui ?
Oui, je pense. Il y avait la quantité, c’était exceptionnel peut-être, mais on avait aussi de super propriétaires, avec les Cramer, Haller et cie, qui pouvaient dépenser plus d’un million pour un cheval, aux francs de l’époque. Aujourd’hui, on a les cracks cavaliers, avec Steve, Martin, Pius aussi, et des jeunes prometteurs, mais il manque quelques chevaux. On a aussi de très bons propriétaires, mais il y en a qui dépensent davantage dans d’autres équipes. Ce qui est bien, c’est qu’il y a un excellent esprit, entre sponsors, propriétaires, officiels et cavaliers, je suis confiant. Mon travail va un peu me manquer, mais je pars le cœur léger.

Propos recueillis par Alban Poudret 

Cet article est paru en p. 4-5 du numéro de novembre. Toute reproduction des textes et photos, même partielle, est interdite sans l’autorisation de l’éditeur.


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