Aux Européens de La Corogne, Gilles Thomas a réalisé l’un de ses grands rêves en décrochant deux médailles, l’or par équipe et le bronze individuel. © Nathalie Poudret Aux Européens de La Corogne, Gilles Thomas a réalisé l’un de ses grands rêves en décrochant deux médailles, l’or par équipe et le bronze individuel. © Nathalie Poudret

Gilles Thomas : « Je connais tous mes chevaux par cœur. »

Révélation de l'année 2022, lorsqu'il remportait le Grand Prix d’Hickstead et se classait 3e du Masters de Calgary, Gilles Thomas s’est frayé un chemin vers les sommets de la hiérarchie mondiale jusqu’à atteindre la 5e place des rankings. Avec son fabuleux Ermitage Kalone, le Belge de 27 ans a récolté cet été deux médailles aux Européens de La Corogne, l’or par équipe et le bronze individuel. Dans la foulée, il s’est imposé sur le circuit du Global Tour, triomphant notamment à Paris-Eiffel avec son fidèle étalon. Celui qui ne compte pas moins de six médailles européennes – dont l’or individuel et par équipe chez les jeunes cavaliers en 2016 – est aussi double champion de Belgique. Basé à Nieuwenrode, entre Bruxelles et Anvers, le Flamand travaille avec son oncle Marc Van Dijk qui fut lui-même l’un des piliers des Diables rouges à son époque. Rencontre avec le sympathique et humble cavalier belge à l’aube de sa première finale du Top 10.

Gilles, vous allez monter votre première finale du Top 10 à Genève. Qu’est-ce que cela représente pour vous ? Était-ce un objectif ?
Le Top 10 est toujours une chouette épreuve à regarder. C’est devenu un but au fil de la saison, en progressant dans la rankings. En septembre, quand je suis entré dans le Top 10, je voulais vraiment y rester quelques mois pour pouvoir monter cette finale.

En avez-vous discuté avec d’autres cavaliers ? Que vous ont-ils dit ?
Oui, un peu avec quelques Belges, comme Jérôme Guéry. Il m’avait déjà dit après les championnats d’Europe qu’en continuant sur cette lancée, je pourrai monter le Top 10. Je n’étais pas encore dans les dix à ce moment-là, mais c’était dans un coin de ma tête. Niels Bruynseels, qui l’a aussi monté une fois, m’a dit que c’était quelque chose de formidable, qu’il y avait une belle atmosphère pendant l’épreuve. C’est chouette de pouvoir prendre part à une épreuve que j’ai toujours aimé regarder.

Votre oncle Marc Van Dijck avait été 2e du Grand Prix dominical – le Rolex Classic, la Coupe du monde avait alors lieu le samedi – en 2000, puis vous- même 3e du Grand Prix l’an dernier et 4e en 2022. C’est presque une histoire de famille.
C’est en tout cas le meilleur indoor de la saison. J’y suis venu deux fois en étant à chaque fois bien classé dans le Grand Prix. Ce sont aussi de bons souvenirs pour mon oncle, inscrire Genève dans le planning, c’est toujours un moment agréable.

Est-ce justement votre oncle qui vous a transmis la passion du cheval ?
En effet. Quand j’étais jeune, il montait encore au plus haut niveau. Je passais presque toutes mes vacances avec lui, aux concours pour le supporter (et sa maman a aussi monté jusqu’en championnats jeunes, ndlr). À ce moment-là, c’est devenu un rêve de faire comme lui. Actuellement, il monte encore un peu à la maison, mais plus en concours. Moi, je fais du 5* et c’est lui qui vient au concours avec moi !

Les rôles se sont donc inversés et vous travaillez même ensemble.
Exact, j’ai d’abord fait des études puis j’ai commencé à travailler pour lui. Depuis le début de l’année, on a l’écurie ensemble, en famille. J’aimerais rester là, je m’y plais et on a actuelle- ment de très bons chevaux.

Comment fonctionne votre système ? Qu’est-ce qui fait tourner la boutique ? 
On n’a pas une très grande écurie avec entre 25 et 30 chevaux au travail. On fait un peu d’élevage et un peu de commerce. On a quelques étalons qui saillissent beaucoup, surtout Ermitage, mais aussi des autres. Mon oncle donne beaucoup de leçons et moi, j’axe sur le sport. Ces deux ou trois dernières années, c’est plutôt le sport et les étalons qui étaient majoritaires, mais on fait de tout.

Votre groom Sanne Melsen a été nommée groom de l’année par la FEI, qu’est-ce que cela représente ?
C’est chouette pour elle, qui travaille depuis presque sept ans avec moi. C’est bien que les grooms reçoivent aussi un prix car il n’y a pas que moi, c’est tout une équipe qui travaille ensemble, avec les grooms et les cavaliers à la maison.

Revenons sur vos études universitaires. Avez-vous eu un moment d’hésitation quant à votre choix de carrière ou était-ce toujours une évidence pour vous ?
Ça a toujours été mon rêve d’être cavalier professionnel, mais mes parents m’ont dit que je devais faire des études, parce qu’on ne sait jamais. J’ai étudié jusqu’à 21 ans. Jusqu’à cet âge-là, j’ai seulement monté un peu en 2 et 3*, pas loin de chez moi, en Belgique.

Qu’est-ce que ces études vous ont apporté ?
J’ai étudié les schèmes et le coaching mental en psychologie du sport. Même si ce que nous avons appris s’adresse aux humains, je pense que les chevaux fonctionnent un peu pareil. Et même si je n’ai pas de coach mental, je connais tout ce qui est important pour gérer le stress et établir les bons programmes. Donc en fin de compte oui, tout cela m’aide un peu. Après, je suis quelqu’un d’assez calme. Et quand tout fonctionne bien comme c’est le cas en ce moment, on ne ressent pas beaucoup de pression en piste.

À cette époque-ci, vous collectionniez les médailles européennes avec la relève. En quoi ces années ont-elles été utiles à votre carrière ?
C’était déjà un plaisir de monter avec la veste rouge. S’agissant du plus haut niveau possible à cet âge-là, c’était un bon apprentissage. Les Jeux de Paris étaient mon premier championnat élite. Ce n’est pas totalement la même chose, mais ça m’a aidé. À 14 ou 15 ans, les Européens sont le moment le plus important de l’année donc c’était un peu le même ressenti et j’ai pu m’habituer à la pression.

Quel est le secret pour réussir la transition entre les jeunes cavaliers et l’élite ? 
Avoir de bons chevaux, ça aide beaucoup (rires). Mais je pense aussi qu’il ne faut pas aller trop vite. Mon oncle dit toujours que la base, le dressage à la maison, est très importante, qu’il faut aller plus loin que juste sauter en piste. Donc je pense que quand vous avez une bonne base de dressage, que les chevaux vous écoutent bien, les choses deviennent plus simples en parcours. Dans mon cas, j’avais 22 ans quand il y a eu le Covid. Ce n’était pas possible de faire de grands concours et ça a été une bonne chose pour moi. J’ai pu pendant un ou deux ans simplement faire un peu de concours, moins haut et m’entraîner un peu plus à la maison. Quand le Covid s’est terminé, j’étais prêt pour l’étape suivante.

Donc, il y aura quand même eu du positif dans le Covid...
Pour moi oui parce que j’étais encore un peu jeune et pas encore prêt pour bien faire en 5*. Mes chevaux ne l’étaient pas encore tout à fait non plus.

Si on se penche maintenant sur cette belle saison, quelles ont été les retombées de vos deux médailles européennes ? Avez-vous senti quelque chose changer dans votre vie, dans la manière dont les gens vous considèrent ?
Oui, avoir une médaille dans un grand championnat, c’est toujours quelque chose de bien sur un palmarès. J’ai toujours aimé les championnats, déjà chez les jeunes. Et puis c’était surtout important pour Ermitage. Les gens disaient déjà depuis longtemps qu’il était un vrai cheval de championnat. Les Jeux de Paris, c’était bien, mais c’était pour nous deux peut-être un peu tôt, on n’avait pas beaucoup d’expérience. Cette année, j’avais le sentiment qu’on était prêts pour faire quelque chose. Avec ces deux médailles, Ermitage et moi avons gagné en confiance et en expérience, ce qui m’a aidé avec les autres chevaux.

Comment avez-vous vécu les Jeux olympiques de Paris ?
Quand j’ai été sélectionné, tous ceux qui les avaient déjà faits m’ont tous dit à quel point c’était quelque chose d’exceptionnel, que c’était encore plus grand qu’un championnat du monde ou d’Europe. Je peux confirmer que c’était quelque chose de spécial, notamment de vivre avec tous les autres athlètes dans le même village, dans le même bâtiment. En Belgique et même partout sur la planète, tout le monde suit les Jeux. Mon coiffeur par exemple s’est rendu compte que j’étais plutôt bon dans mon sport (rires). Personnellement, je n’ai pas changé, mais le regard du grand public oui.

Parlez-nous de votre Ermitage Kalone (11 ans, SF, par Catoki et Kannan) si génial et si posé. Comment est-il au quotidien ?
Il est aussi comme ça à la maison, il est très relax. Il saillit beaucoup, mais il reste toujours très calme. En revanche, quand c’est important, quand il y a du monde autour de la piste, il se réveille.

Ermitage est un peu le chouchou du public et tout le monde le regarde. Cela vous met-il la pression ?
Peut-être un peu. Cela étant, je le monte depuis ses six ans donc j’ai l’habitude de cela, même si les regards sont devenus plus nombreux au fil des années. Et puis, il saute presque toujours sans faute donc je n’ai pas beaucoup de stress quand j’entre en piste avec lui.

Qu’il gagne son premier Grand Prix 5*, à Paris, au pied de la Tour Eiffel, était-ce important pour vous ?
Ça me fait plaisir d’avoir pu offrir cela à un cheval comme ça. Tout le monde parle de lui, mais depuis cette année, il y a réellement des choses à dire. Il n’est plus juste un étalon exceptionnel, mais un cheval qui a fait ses preuves dans le sport en gagnant de belles choses.

Avez-vous des retours sur ses premiers produits ?
Il y a quelques jeunes de six et sept ans, mais pas beaucoup, parce qu’à ce moment-là, il avait seulement trois ans. Les premiers produits bougent très bien et sont jolis. Ils ont beaucoup de blanc sur la tête et les jambes, comme lui. Je pense qu’il va donner des chevaux très malins, à son image. J’ai aussi un très bon 5 ans, un étalon qui lui ressemble beaucoup. Et j’attends les plus jeunes.

Comment vont Luna van het Dennehof, qui vous avait révélé au plus haut niveau, et Aretino 13 qui vous avait permis de remporter le Grand Prix d’Hickstead, la mythique George V Cup, et de vous classer 3e du Masters de Calgary-Spruce Meadows en 2022 ?
Luna était mon premier cheval de Grand Prix 5*. On l’a élevée nous-mêmes et je l’ai toujours montée moi, ce qui est assez chouette. À 14 ans, elle est en forme et saute encore très bien, mais j’ai désormais plusieurs chevaux compétitifs pour sauter les GP 5*. C’est d’ailleurs une bonne chose pour tout le monde, de ne pas compter que sur un cheval. Et ils se tirent tous vers le haut. Aretino a désormais 17 ans et est à la retraite. Je ne l’avais pas monté longtemps, simplement lorsque son propriétaire n’avait pas le temps en raison de ses études. (Quant à Calleryama, 4e à Genève en 2022 et 1ère de la finale de Barcelone où les Belges s’étaient qualifiés pour les Jeux de Paris, et Indiana, sa jument des jeunes cavaliers, elles se consacrent à l’élevage, ndlr).

Quelle relation avez-vous avec vos chevaux ?
J’ai toujours eu mes chevaux lorsqu’ils étaient assez jeunes. Je les connais depuis longtemps et on a à chaque fois commencé ensemble sur de tout petits parcours, en progressant chaque année. Je crois donc pouvoir dire que je connais tous mes chevaux par cœur.

Quid de la très régulière Qalista DN, qui vient de gagner le Grand Prix 4* de Maastricht et qui s’était aussi imposée dans le GP 5* de New-York ?
Qalista est aussi un cheval formidable. Elle a seulement 9 ans, mais si on regarde ce qu’elle a déjà gagné cette année, c’est un truc de fou (2e au Circo Massimo à Rome, 3e à Valkenswaard, 4e à St-Tropez en 5*, ndlr). Je la monte depuis un an et demi. L’année dernière, elle n’a pas fait beaucoup puis au début de l’année, je l’ai emmenée au Sunshine Tour pour qu’elle prenne de l’expérience. Après ça, elle était prête pour faire des épreuves un peu plus hautes. En milieu de saison, elle était directement double sans faute dans son premier GP 5* à St-Tropez. Elle est très compéti- tive, chaque épreuve que tu montes avec elle, tu peux gagner, elle est tellement rapide. C’est un autre style de cheval qu’Ermitage, qui est plus typé championnat ou Coupe des Nations. Dès les poneys, j’ai toujours monté beaucoup de chevaux différents, des jeunes, des vieux, ça faisait partie de l’apprentissage, mon oncle y tenait. On doit savoir s’adapter. J’essaie toujours de m’adapter à mon cheval, et non l’inverse, c’est mon système. 

Propos recueillis par Elisa Oltra

Cette interview est parue en p. 25 à 27 du n° de décembre-janvier. Toute reproduction des textes est interdite dans l'accord de l'éditeur. 


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