Julien Epaillard et Caracole de la Roque dans la chasse des Mondiaux de Herning 2022. © Fabienne Bujard Julien Epaillard et Caracole de la Roque dans la chasse des Mondiaux de Herning 2022. © Fabienne Bujard

Julien Épaillard : « Il m’est arrivé souvent de monter dix-huit parcours dans la journée ! » (2/4)

La Suisse a souri à Julien Épaillard, vainqueur de la finale Coupe du monde de saut d’obstacles le 6 avril dernier à Bâle avec le crack Donatello d’Auge, élevé par son épouse Susana. Cavalier surdoué, le Français est surtout un libre penseur qui aime mener ses expériences – déferrer ses meilleurs chevaux et les mettre au pré en troupeau par exemple. Un horsemanship inspirant à découvrir dans la deuxième partie de ce reportage au Haras de la Bosquetterie.

Lire la première partie

Julien Épaillard a attendu d’avoir quarante-sept ans pour décrocher son premier titre international majeur en avril dernier. Cet âge n’a rien de canonique, mais en France le monde du saut d’obstacles attendait l’avènement de Julien depuis si longtemps qu’il commençait à désespérer ! Épaillard a toujours été considéré comme un phénomène dans son pays. 

Son aîné Jacques Bonnet, qu’on a connu en équipe de France avec Apache d’Adriers, en lice aux Européens de 1999, notamment, le qualifie même de « génie » : « À quinze-seize ans Julien gagnait déjà des Grands Prix 150 avec Si Tu Viens et Arpège Pierreville, les étalons que lui confiaient les Haras Nationaux. Il n’y avait pas beaucoup de gamins dans ces épreuves. Il était au-dessus de la mêlée. Julien a une équitation fluide, simple, toujours avec le cheval. C’est un équilibriste qui tire la quintessence de ses chevaux sans qu’ils prennent dur. Ils sautent toujours au ras des barres mais sans faute, et c’est ce qu’il faut pour que les chevaux aillent vite. Leur donner de la marge au-dessus des obstacles, c’est les faire forcer. Sauter juste le nécessaire est la bonne solution, mais on est alors proche de la faute, c’est un savant dosage. » 

Julien Épaillard jure a contrario que le talent n’existe pas, que seul le travail compte. « Mes parents enseignaient l’équitation et j’ai commencé à monter dès mes deux ans, j’ai pris très tôt des mécanismes. Même jouer aux cow-boys et aux Indiens avec des poneys a aiguisé mon œil et développé mes réflexes. » Le cavalier a également été détecté à l’adolescence en tant que pilote de motocross. « Là aussi cela s’explique, il y avait plein de motos à la maison, j’en ai toujours fait dans les bois, j’ai développé mon équilibre. » 

En 1989, à douze ans, Julien est champion de France cadet. En 1995, à dix-neuf ans, il devient champion d’Europe juniors par équipe avec Arpège Pierreville HN, à Berlin. L’année suivante, à Klagenfurt, il est sacré champion d’Europe jeunes cavaliers avec Si Tu Viens, encore un étalon confié par les Haras Nationaux. En argent, Reynald Angot, qui est resté un grand ami. 

Un « tardif » chez les Bleus 

La marche de l’équipe de France seniors n’a été franchie que bien plus tard, faute de cheval adéquat, affirme le cavalier. Avec Icare du Manet, propriété de Patrick Bizot, il remporte sa première victoire en Coupe des Nations en 2006 à Hickstead, signant le seul double sans-faute de l’épreuve. Mais la première médaille en championnat, le bronze aux Européens de Milan avec Dubaï du Cèdre, n’arrive qu’en 2023 ! L’année précédente, il a disputé ses premiers Mondiaux à Herning. 

Julien Épaillard se défend d’avoir privilégié des épreuves lucratives aux dépens de l’équipe de France : « Usual Suspect d’Auge qui est né dans notre élevage est le premier cheval avec lequel j’ai gagné des Grands Prix 5* à Paris et Doha, en 2017. Mais il était extrêmement compliqué et ne passait pas les rivières, il n’avait pas le profil d’un cheval d’équipe. J’adore pourtant représenter mon pays. » 

La réalité économique était également un frein, le pilote n’étant pas né dans la pourpre. « Au début de ma carrière mes parents ont racheté un centre équestre près de Cherbourg, le Haras de Siva. On avait donc des banques à rembourser et j’ai dû privilégier le commerce pour que mon entreprise devienne rentable. Je suis devenu professionnel dès mes seize ans et j’ai énormément travaillé. Il m’est arrivé souvent de monter dix-huit parcours dans la journée en épreuves jeunes chevaux. Cette phase a duré jusqu’à mes trente-cinq ans. » 

Dix ans plus tôt Julien a pourtant rencontré Susana, qui a de gros moyens financiers. « Elle m’a poussé à me bouger et à me diriger plus vers le haut niveau, mais je refusais qu’elle achète un cheval pour moi. Et puis je tiens à respecter mes clients et leurs objectifs. S’ils sont de mettre en valeur un cheval pour le vendre, l’honnêteté exige de rester dans cette optique-là. Caracole de la Roque et Billabong du Roumois par exemple m’avaient été confiés pour être commercialisés. » 

Billabong, fils de Mylord Carthago propriété de ses naisseurs la famille Bertho, a rejoint Julien en juin 2021. En huit mois le couple a remporté dix victoires internationales dont les Grand Prix 4* de Saint-Lô et Coupe du monde de Madrid. Puis le hongre a été vendu, ce qui a obligé le cavalier français à renoncer à disputer la finale Coupe du monde de Leipzig en 2022. Billabong a intégré les écuries de Peter et Harry Charles. 

Avec Caracole, fille de Zandor élevée par Alexandrine et Michel Hécart, passée sous sa selle fin 2021, Julien a réussi une saison 2022 stupéfiante qui l’a mis sur orbite : quinze victoires dont sept Grand Prix, y compris l’étape Coupe du monde de Madrid. Il a bondi à la 2e place du classement mondial derrière Henrik von Eckermann. Puis cette extraordinaire jument a été cédée à l’Américain Karl Cook début 2023, sans que Julien Épaillard ne ressente une nostalgie particulière puisque ce scénario était écrit depuis le départ. « J’aime valoriser un cheval, le vendre et que cela se passe bien avec son nouveau cavalier. Cela fait partie de mon métier. » 

L’histoire s’est répétée l’année dernière avec une autre crack, Dubaï du Cèdre, fabuleuse fille de Baloubet du Rouet remarquée sous la selle de Margaux Rocuet. Exceptional Horses, un fonds d’investissement rassemblant le couple 

Épaillard et des proches, en a acheté 70%, la jument restant copropriété de ses naisseurs Perrine Cateline et Sylvain Pitois. Médaille de bronze aux championnats d’Europe 2023, 2e place à la finale Coupe du monde 2024, médaille de bronze par équipe aux JO de Paris et 4e place en individuel : les performances de Julien Épaillard avec Dubaï ont été plus brillantes encore qu’avec Caracole ! 

Jacques Bonnet analyse : « Julien amène un cheval au très haut niveau, puis le vend. Il en reprend un autre et réussit la même chose ! Puis avec un troisième cheval qu’il a élevé et fabriqué, il remporte la finale Coupe du monde. Tout cela n’a rien à voir avec la chance. » 

Céline Gualde

Cet article a été publié en p. 4-11 du Cavalier Romand de juin. Toute reproduction des textes et photos, même partielle, est interdite sans l’autorisation de l’éditeur.


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