Julien Verboomen : miser sur le bon cheval
Il y a des instants où le temps se fige. Quand le score est tombé à l’issue de la Libre au championnat d’Europe de Crozet-Jiva Hill, Justin Verboomen est resté un peu interdit, presque hébété. Était-ce bien pour lui, ce chiffre insensé affiché sur l’écran géant ? On peut le comprendre : dix mois plus tôt, son nom n’apparaissait même pas au classement mondial. Aujourd’hui, il y trône solidement en tête, champion d’Europe – un titre inédit pour la Belgique – à deux reprises en un seul week-end, propulsé n° 1 mondial avec ce cheval si particulier, Zonik Plus. C’est ce qu’on appelle une ascension fulgurante.
En les regardant piaffer au milieu de la piste de Jiva Hill, on était saisi par la facilité du cheval, par cette impression que tout coulait de source. Justin Verboomen, lui, semblait ne rien faire, tant ses aides étaient fines. Plus rien ne semblait exister autour de lui : ni les gradins, ni la pression d’un titre continental. Seulement eux deux, reliés par une connexion qui se passe de mots. « Je ne réalise pas encore », lâchait timidement le cavalier belge de 38 ans avant la cérémonie des médailles, comme si tout cela ne lui était pas destiné. Il faut dire aussi que ces titres, il n’était pas venu les chercher, mais simplement donner le meilleur de lui-même dans une première participation à un tel niveau.
Derrière ces images qu’il nous a offert en déroulant son Grand Prix Libre, il y a un travail d’orfèvre. Son credo ? Harmonie et légèreté plutôt que contrainte et performance. « Quand j’apprends quelque chose à un cheval, je me demande toujours si c’est joli. Je veux faire les choses du mieux possible, mais pas à n’importe quel prix. Si le cheval n’est pas bien, je ne le suis pas non plus », confiait-il récemment à la Ligue Équestre Wallonie Bruxelles.
Une approche qui paie : depuis fin 2024, chaque sortie ou presque se solde par un podium. Cet attrait du cheval lui vient déjà tout petit. Justin Verboomen naît et grandit à Anderlecht en Belgique, où son père est professeur d’équitation. Il suit alors la passion familiale pour le dressage et décide de devenir cavalier professionnel. Il débutera la compé- tition assez tard, en tournant principalement sur des circuits pour chevaux ibériques, lui qui a travaillé près de dix ans pour l’élevage de chevaux lusitaniens de Léopold Gombeer, au Portugal. L’élevage cesse ensuite ses activités et le cavalier se met à son compte en Belgique, basé dans une écurie à Wauthier-Braine, pouvant compter sur l’aide complice de sa sœur Clarisse, elle aussi cavalière de dressage, avec qui il s’apprête d’ailleurs à s’installer dans ses propres écuries à Nivelles.
Prodigieux Zonik Plus
Zonik Plus lui-même est un drôle de partenaire. À neuf ans, l’étalon noir impressionne par son calme et cette manière d’agir comme s’il avait déjà tout vécu. Il est un produit de l’étalon Zonik N.O.P, en propriété du Haras Glock, et qui avait participé à plusieurs événements internationaux majeurs, comme les Jeux équestres mondiaux de Tryon en 2018 ou les championnats d’Europe de Rotterdam en 2019. « Chaque fois que je rentre en piste, il a envie de se montrer. Il reste à l’écoute et si je ne fais pas de grosse erreur, lui ne va pas en faire non plus. Il est juste formidable », raconte son cavalier. Autre détail que les plus observateurs auront peut-être aperçu : comme pour continuer sur la lignée de l’harmonie, Zonik est pieds nus ! « J’ai retiré les fers quand il avait 7 ans. Il a beaucoup d’énergie et d’enthousiasme quand il va au parc, et il déferrait tout le temps, les pieds étaient en mauvais état. J’ai donc décidé de les enlever », explique son cavalier.
Justin achète Zonik Plus au Portugal alors qu’il n’a que deux ans et demi, sur un coup de cœur, et le parcours du couple se lit comme une vive progression : titres de champion de Belgique à 5, 6 et 7 ans, 6e place aux Mondiaux des jeunes chevaux... avant une entrée tardive mais marquante dans la cour des grands (Justin tenait à attendre ses 8 ans pour débuter les Grands Prix). Tout ceci sans gros sponsor, sans mécène et sans entraîneur de renom.
Lors de championnats d’Europe de Jiva Hill, le couple était attendu suite à leur premier grand succès quelques mois plus tôt au CHIO d’Aix-La-Chapelle. Ils y avaient décroché la victoire dans le Grand Prix Spécial et lors de la Kür. C’était en juillet, et la performance signait un bond significatif dans le classement mondial (5e place). Il y avait eu avant cela leur toute première participation en Coupe du monde, à Bois-le-Duc aux Pays Bas, mi-mars. Le couple avait alors terminé aux 3es rangs du Spécial et du Freestyle. Aujourd’hui, tous deux dominent leur classement mondial respectif, cavalier comme cheval. Et demain ? Peut-être les Jeux olympiques, peut-être d’autres horizons encore. Une chose est sûre: ensemble, ils n’ont pas fini d’écrire ni l’Histoire, ni leur histoire.
Julie Queloz
Cet article a été publié en p. 7 du numéro d'octobre du Cavalier Romand. Toute reproduction des textes et photos, même partielle, est interdite sans l’autorisation de l’éditeur.