Michael Jung, une carrière en or (2/2)
Il a tout gagné : trois titres olympiques en individuel (Londres en 2012, Rio en 2016 et Paris en 2024), trois championnats du monde, six Européens, les CCI 5* de Badminton, Burghley, Lexington et Luhmühlen en concours complet, et de nombreuses épreuves jusqu’en 5* en saut d’obstacles. À 43 ans, Michael Jung poursuit sa quête d’harmonie et parle de ses victoires comme l’aboutissement d’un travail de longue haleine avec chaque cheval. Brillant en dressage, instinctif en cross et précis en CSO, l’Allemand excelle dans toutes les disciplines. À Avenches, fin juillet, ce cavalier d’intuition et de génie prenait le départ de la Coupe des Nations avec fischerSolution III, en lequel il croit beaucoup, du 3* avec son olympique Chipmunk et du 2* avec des montures d’avenir. Nous avons profité de la venue dans la Broye du plus grand cavalier de complet de tous les temps, humble et ouvert, pour faire un tour d’horizon de sa carrière et évoquer l’avenir.
Depuis que vous performez dans cette discipline, les années défilent... Quels changements avez-vous vécu au niveau du dressage, de la technique de cross ou encore de la sécurité ?
Je pense que l’évolution va dans le bon sens. Il faut vraiment penser continuellement à ce que nous pouvons corriger dans ce sport. C’est ce que je m’efforce de faire avec mes chevaux et mon équitation. Je me demande sans cesse ce que je peux améliorer. Entre la détention, la nourriture, le ferrage, le vétérinaire, la manière de monter, la manière de les entraîner... Je garde toujours en tête d’être meilleur à chaque fois, d’apprendre de nouvelles choses, de rester ouvert. Même quand je voyage avec mes chevaux, je m’interroge sur comment augmenter leur confort dans le transport.
Pour le cross, réfléchir sur la sécurité, la qualité du sol, la configuration des obstacles par rapport à la topographie du terrain, c’est essentiel. Avant, on ne pensait pas à tout ça. Ce que j’aime moins dans cette évolution, c’est qu’il commence à y avoir trop de MIMs. C’est bien d’avoir des obstacles tombants ou originaux, mais il faut réfléchir à leur emplacement, et surtout ne pas tomber dans l’excuse « ok, ce saut n’était peut-être pas l’obstacle le mieux placé, mais c’est un MIM, donc il peut tomber ». Pour moi ce n’est pas un bon argument. C’est surtout le moyen de négliger un obstacle et de faire une faute sur le cross. Je pense vraiment que nous devons mieux analyser le tracé de chaque cross, réfléchir sur la façon dont le cheval va sauter tel saut à tel endroit et considérer les moments de galop.
À Avenches, vous aviez engagé des chevaux aussi en 2* : Safran, Ginster et Perseverance Funky Famous Flamborghini. Pouvez-vous nous en dire quelques mots ?
Chaque cheval est différent mais tous ont le potentiel pour le haut niveau. On ne le sait jamais à l’avance, ils doivent encore grandir et prendre de l’expérience. Safran (9 ans) est très bon au dressage, à l’aise en saut, mais encore un peu vert sur le cross. Je pense qu’il va développer de la bravoure et de la force. Ginster (7 ans) est aussi très doué en dressage, super brave dans le cross, mais il doit encore gagner en technique. Funky (8 ans) est très talentueuse, brave, elle a un super galop et présente bien en dressage. Tous vont devenir de super chevaux, je pense.
En qui croyez-vous le plus ?
Je crois en chacun d’eux. Je ne vais pas dire « celui-ci est vraiment LE futur champion », car j’essaie d’entraîner chaque cheval avec la même passion et tente de leur donner la même chance, la même attention. Et avec certains chevaux, vous avez de bonnes surprises. Je pense qu’il n’y a pas que la manière dont le cheval est bâti ou bouge. Le cœur qu’il met au travail, la bravoure et sa mentalité sont plus importants que la première impression visuelle.
Vous formez aussi de jeunes cavaliers, dont Sven Lux, aligné dans le 4* à Avenches. Si vous aviez un message à passer à la relève, quel serait-il ?
C’est un long parcours. Il faut beaucoup de discipline, un regard différent sur chaque cheval, chacun d’eux ayant ses forces et ses faiblesses. Et puis, n’essayez pas de monter différemment en compétition. Montez comme à la maison, sans pression. Ne tentez rien de plus. Évitez de vous charger l’esprit en espérant vous surpasser par rapport à l’entraînement. Avant de forcer pour aller plus loin, le cheval doit être bien dans sa tête, en bonne forme physique, à votre écoute, avec vous pour une harmonie partagée. Alors seulement à ce stade, vous pouvez tenter de vous surpasser.
Justement, à quel point la relation au cheval est-elle importante dans le complet ?
Elle est fondamentale. Au début, ça ne fonc- tionne pas toujours comme on aimerait, mais il faut toujours garder en tête l’état d’esprit qu’on souhaite obtenir avec son cheval en compétition et à l’entraînement. Travailler sur son propre équilibre pour obtenir l’harmonie et la confiance. Chaque cheval est unique, et pour que ça fonctionne, il faut toujours aller dans son sens, jamais contre lui. Au final, le cheval se battra pour vous, et non pas contre vous.
Quelles sont vos prochaines grosses échéances ?
Les championnats d’Europe de Blenheim, et ensuite – plus gros celui-ci – les Jeux mondiaux à Aix-la-Chapelle, l’année prochaine. Ça va être un grand événement pour l’Allemagne. Et bien entendu, les Jeux olympiques de Los Angeles sont dans ma ligne de mire. De supers objectifs. J’ai quelques chevaux qui pourraient déjà être capables de les réaliser. Ça me motive donc à bloc !
Et Badminton ou Burghley ?
Non, je me concentre sur les Jeux mondiaux, l’an prochain sera plus calme en 5*. Peut-être que je serai de retour dans cette catégorie en 2027.
Y a t-il des cavaliers qui vous inspirent ?
Beaucoup ! Andrew Hoy, Andrew Nicholson et William Fox-Pitt pour le complet. En dressage, je pense à Isabell Werth, à Hubertus Schmidt, et à Marcus Ehning en CSO. Chaque cavalier a sa propre technique et chaque cheval est unique. Selon moi, c’est très important de garder un esprit ouvert, d’apprendre à regarder les autres cavaliers travailler dans leurs disciplines, repérer les bonnes techniques, réfléchir sur les méthodes afin de les ajuster sur nos chevaux. Ce qui est valable pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre. C’est à ce moment-là que, si la communication est bonne, la confiance s’installe.
Et des chevaux que vous auriez aimé avoir dans vos écuries ?
Difficile de répondre, il y a tellement de bons chevaux dans le monde. Au sommet de notre sport, tout paraît facile, mais c’est avant tout une histoire de complicité. Le cavalier est là pour mettre en valeur les qualités de son cheval. En CSO, il y a aussi de supers chevaux comme Hello Folie ou Greya, mais l’idée est de construire un couple. On voit de très bons chevaux sur le cross, mais pas sûr qu’ils se classent avec d’autres cavaliers sur le dos. Il y a d’excellents couples avec des techniques variées et intéressantes, plusieurs nations avec des entraînements différents, des méthodes à suivre, c’est passionnant. L’élite du sport équestre est ouverte à tout le monde et dans la mesure où nous ne sommes pas sanctionnés par l’âge, le temps nous accorde plusieurs chances pour faire grandir nos chevaux et atteindre un top niveau.
Si vous n’aviez pas été cavalier, qu’auriez-vous fait ?
J’ai toujours voulu être cavalier donc je n’ai jamais pensé à faire autre chose. Mais si j’avais dû choisir... Peut-être quelque chose avec des machines. Et alors j’aurais gardé l’équitation comme loisir.
Avez-vous d’autres hobbies à côté des chevaux ?
J’aime passer du temps en famille ou avec des amis. Je joue un peu au foot, au basket et je vais skier... Toujours en prenant du plaisir. J’aime aussi aller au fitness.
Avant de nous quitter, avez-vous un rêve à nous partager ?
Voir mes enfants à cheval ! Encore mieux... monter avec mes enfants sur un concours. Ou les emmener sur de grosses compétitions. Pour l’heure, ils ont 2 et 4 ans, alors j’ai encore quelques années pour rêver...
Laurence de Pescara & Julie Queloz
Cet article est paru en p. 4-7 du numéro de septembre. Toute reproduction des textes et photos, même partielle, est interdite sans l’autorisation de l’éditeur.