TAS et médication: Rodrigo Pessoa dit son étonnement, ses doutes.

Le champion olympique s'exprime sur l'affaire de médication des deux cavaliers saoudiens et leur "repêchage" pour les JO.

Rodrigo Pessoa Rodrigo Pessoa

Dans une lettre ouverte et une interview à paraître dans les numéros de juillet de L'Eperon et du Cavalier Romand, Rodrigo Pessoa (photo) soulève un certain nombre de questions.

On sait que le 11 juin, le Tribunal arbitral du sport (TAS) a diminué des trois-quarts la peine pour médication infligée mi-mai par la Fédération équestre internationale (FEI) aux deux meilleurs cavaliers saoudiens de saut. Khaled Al Eid, le médaillé de bronze des JO 2000, et Abdullah Al Sharbatly, le vice-champion du monde 2010, ont vu leur suspension réduite de huit à deux mois, le TAS considérant cette infraction - deux substances anti-inflammatoires, le phénylbutazone et l'oxyphenbutazone, administrées à leur monture en période de compétition - comme "mineure".

Mi-mai, on avait été plutôt rassuré que la FEI joue la fermeté dans cette affaire, le Fonds saoudien ayant décidé de parrainer les Coupes des Nations et la Super Ligue pour un an, voire pour cinq années supplémentaires. Aujourd'hui, on constate que, contre toute attente, les deux Saoudiens les plus capés pourront finalement monter aux JO. L'équipe saoudienne sera au complet à Londres, mais les discussions ne sont sans doute pas terminées…

Le champion olympique 2004 Rodrigo Pessoa, longtemps président du Club des cavaliers internationaux de saut (IJRC) et toujours membre influent du comité, dit son étonnement. Et ses doutes.

- Rodrigo Pessoa, vous avez envie de réagir?

- Oui, on attend bien sûr de lire attentivement les motivations du TAS, mais vu la gravité de l'histoire, on se doit de soulever certaines questions. J'ai de la peine à croire à la soudaine indulgence du TAS. J'ai longuement réfléchis au problème, j'en ai parlé à mon entourage, aux cavaliers, et je n'arrive pas à comprendre. C'est gros comme une maison, tout ça, le TAS ne revient en général pas sur de telles décisions, ou il approuve ou il annule; diminuer cette peine des trois-quarts, ça ne tient pas debout.

- Passer de huit à deux mois de suspension, c'est un revirement?

- C'est plus qu'un revirement, une vraie claque donnée au Tribunal de la FEI, qui avait pourtant fait son travail.

- A la demande des cavaliers, et avec l'accord de la FEI, les deux appels ont été jugés par un seul arbitre, le Canadien Graeme Mew, et selon une procédure accélérée. A cause de la proximité des JO?

- ça aussi, c'est étonnant, pourquoi n'a-t-on pas demandé trois juges, comme c'est normalement le cas? Que ce soit accéléré en vue des JO, c'est une chose, mais que l'on table sur un seul juge, c'est franchement bizarre, ça rajoute du flou à cette histoire. Où est l'impartialité? Autre chose, pourquoi les Saoudiens avaient-ils pu se mettre en auto-punition au mois de février, ça n'a aucune logique non plus, leur Fédération leur a-t-elle imposé cela, c'est bizarre, était-ce en vue des JO? Comment va-t-on avoir un jour la vérité sur tout ça?

- Les deux Saoudiens risquaient entre "une amende et deux ans de suspension", la palette de la FEI étant extrêmement large. Trop large?

- Sans doute, c'est trop large, trop vague. C'est toujours ce que j'ai reproché, même quand j'ai moi-même eu des problèmes aux JO 2008, il y a trop de flou, de latitude, une zone grise. Par ailleurs, on ne connaît pas encore les doses concernées, mais on aurait déjà dû faire une différence entre les deux cavaliers. Al Sharbatly a déjà eu des ennuis auparavant, 6 mois de suspension en 2007 pour une affaire de testostérone, plusieurs cartons jaunes ou avertissements ces deux dernières années, Khaled Al Eid pas, donc il devrait y avoir un jugement différent pour l'un et pour l'autre.

- Stanny van Paesschen, l'entraîneur belge des Saoudiens, prétend que la FEI voulait infliger quatre mois seulement aux deux cavaliers, avant de doubler la mise?

- C'était à la FEI de décider, point barre et elle a dit "huit mois". Et même si elle avait dit quatre mois, selon moi, on aurait dû les compter à partir du 15 mai, date du jugement, c'était trop facile de se mettre à l'abri en février. Cette auto-suspension est louche, comment a-t-elle été acceptée et interprétée par la FEI? Et le TAS a jugé tout ça très rapidement, il n'a mis que trois semaines. Pour Christian Ahlmann ou Giulia Martinengo Marquet, on a dû patienter beaucoup plus longtemps, sans parler d'Alberto Contador, que l'on a fait attendre dix mois.

- Le TAS a peut-être voulu s'aligner sur les sanctions infligées aux athlètes humains. Après tout, on est plus sévère avec les chevaux ?

- C'est vrai qu'on est plus intransigeant avec les chevaux, mais si la FEI pense que ça mérite huit mois, elle doit s'y tenir et défendre cela. Là, on ne saura plus du tout ce que vaut une telle infraction, la jurisprudence mettra dans le futur deux mois à chaque cas! Le président du Tribunal de la FEI doit être furieux, ça enlève toute crédibilité à la procédure de la FEI.

- Le Club des cavaliers (IJRC) va-t-il encore se manifester?

- Tout le monde au comité est très surpris par ce jugement, nous avons fait un premier communiqué, mais sans le jugement détaillé du TAS (ndlr: qui ne devrait être publié que fin juin), ce n'est pas facile. On n'a pas non plus le pouvoir de contester un jugement, mais on veut faire passer le message de notre incompréhension. Nous n'avons rien contre ces cavaliers, ni contre leur staff, mais il faut que la vérité sorte.

- Votre père fut l'entraîneur des Saoudiens à l'époque où Khaled Al Eid décrocha sa médaille olympique, plus après, ne pourrait-on pas vous accuser de "revanche", même si on vous a vu aider Al Sharbatly aux Mondiaux 2010?

- Franchement, non, il y a prescription, cela fait plus de dix ans qu'ils ne sont plus chez nous!

- Les deux dernières Olympiades ont hélas été plombées par des affaires de dopage et de triche concernant l'équitation, il ne faudrait pas que cela reprenne à Londres?

- C'est sûr que cette affaire tombe à un très mauvais moment, à l'approche d'une Olympiade, on veut persister dans la lutte contre le dopage, et différencier dopage et médication, mais on doit pouvoir être confiant et rassuré de l'impartialité des tribunaux qui nous jugent.

Propos recueillis par Alban Poudret


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